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Enquête pour harcèlement moral : pas d’obligation d’informer ou d’entendre l’auteur présumé des faits

Dans un arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation vient préciser les conditions dans lesquelles peut être menée une enquête par l’employeur à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral.

Elle considère que l’employeur n’a pas l’obligation d’informer le salarié présumé auteur des faits de harcèlement de la mise en œuvre de l’enquête ni même de l’entendre dans ce cadre, sans que cela ne constitue une violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Bref rappel des faits

Un employeur est informé par les représentants du personnel de faits de harcèlement moral de la part d’une salariée.

Conformément à ses obligations légales, la Société engage une enquête afin de prendre la mesure de la réalité et du sérieux des faits rapportés. Avec l’accord des représentants du personnel, un prestataire externe spécialisé dans la gestion des risques psycho-sociaux est mandaté pour conduire des investigations dans le cadre desquelles les salariés seront entendus et bénéficieront d’un accompagnement psychologique.

Le compte-rendu d’enquête du prestataire fait état d’insultes à caractère raciale et discriminatoire proférées par la salariée présumée auteur des faits et de perturbations graves de l’organisation et l’efficacité collective.

Dans ces circonstances, l’employeur décide de mettre en œuvre une procédure de licenciement pour motif disciplinaire à l’égard de la salariée en se fondant sur les conclusions de l’enquête.

La salariée conteste son licenciement pour faute grave devant le Conseil de prud’hommes au motif qu’elle n’avait ni été informée ni entendue dans le cadre de l’enquête au mépris du contradictoire de telle sorte que le contenu du compte-rendu d’enquête devait être écarté des débats (et partant son licenciement reconnu comme dépourvu de cause réelle et sérieuse).

La Cour d’appel donne raison à la salariée en considérant qu’il s’agit d’un procédé déloyal et donc d’une preuve illicite.

Position de la Cour de cassation : pas de contradictoire obligatoire au stade de l’enquête

La Cour de cassation considère pour sa part qu’il importait peu que la salariée n’ait pas été informée ou entendue dans le cadre de l’enquête dès lors que les investigations menées à cette occasion ne relèvent pas d’un dispositif de surveillance ou d’un contrôle de l’activité des salariés.

Ainsi, après avoir rappelé le principe de loyauté dans l’administration de la preuve et l’obligation d’information du salarié prévue à l’article L.1222-4 du Code du travail («Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance »), la Haute juridiction censure la décision de la Cour d’appel dans les termes suivants :

«Pour écarter le compte-rendu de l’enquête confiée par l’employeur à un organisme extérieur sur les faits reprochés à la salariée, la cour d’appel a retenu que celle-ci n’avait ni été informée de la mise en oeuvre de cette enquête ni entendue dans le cadre de celle-ci, de sorte que le moyen de preuve invoqué se heurtait à l’obligation de loyauté et était illicite.

En statuant ainsi, alors qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié, la cour d’appel a violé par fausse application le texte et le principe susvisés. »

Ainsi, une enquête (interne ou menée par un prestataire externe) pourrait être diligentée à l’insu du salarié auquel des faits de harcèlement moral sont reprochés, sans que celui ne soit mis en mesure de présenter sa version des faits.

En pratique, ce n’est donc qu’à l’occasion de l’entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire que le salarié aura l’occasion de s’expliquer concernant les allégations proférées à son encontre, sauf convention collective, règlement intérieur ou charte interne prévoyant des garanties procédurales spécifiques.

La question du contradictoire ne ressurgira qu’à l’issue de l’enquête – forcément menée à charge – alors que l’employeur envisage déjà de se séparer du salarié ou, a minima, de le sanctionner.

L’absence d’information du salarié mis en cause le prive également de la possibilité de recourir à la procédure de médiation prévue à l’article L. 1152-6 du Code du travailUne procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause ».)

Si la volonté de protéger les victimes de harcèlement moral peut expliquer cette position, il est fort à parier que le fait d’écarter le salarié concerné de l’enquête le concernant au mépris du principe du contradictoire, risque d’augmenter le contentieux déjà florissant sur le sujet.

Les praticiens constatent en effet une recrudescence du nombre de plaintes pour harcèlement moral, lesquelles ne reposent parfois que sur des rumeurs sans aucun élément sérieux ou précis – contrairement aux faits de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

Rappelons à cet égard que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes de sorte que l’identité du ou des salariés ayant dénoncé les faits de harcèlement devra nécessairement être dévoilée à l’auteur présumé afin de lui permettre de se défendre (Cass soc. 4 juillet 2018, n°17-18.241).

Source : Cass. soc., 17 mars 2021, n°18-25.597

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