Le salarié dont le temps de trajet pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail excède le temps normal de trajet entre son domicile et le lieu habituel de travail doit bénéficier d’une contrepartie en temps ou en argent.
- Rappel du contexte légal
Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire (C. trav. art. L.3121-4).
En revanche, le temps de déplacement quotidien entre le domicile et les sites du premier et dernier client n’est pas payé en temps de travail effectif, mais doit faire l’objet d’une contrepartie quand il dépasse un trajet normal. Il n’est pas non plus pris en compte dans le calcul des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales (Cass. soc., 30 mai 2018, 16-20.634).
Le salarié doit démontrer qu’il s’agit d’un temps de trajet inhabituel pour que le salarié soit en droit d’obtenir une contrepartie.
En l’absence d’engagement unilatéral de l’employeur ou d’accord collectif, il appartient au juge de fixer le montant de la contrepartie due au salarié (Cass. soc. 14 novembre 2012, n°11-18571).
Mais est-ce que le juge peut contrôler le caractère suffisant de la contrepartie financière fixée par l’employeur ?
C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mars 2022.
Dans cette affaire, le tribunal de grande instance avait été saisi par des organisations syndicales de diverses demandes relatives, notamment, aux frais de déplacement des salariés itinérants dans le secteur de la prestation de services informatiques relevant de la convention collective Syntec.
- Selon l’employeur, les juges devaient se borner à vérifier l’existence de la contrepartie légale obligatoire
Ainsi, l’employeur considérait que les juges ne pouvaient fixer le montant de la contrepartie que dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été déterminée.
Il ne lui appartenait pas, lorsqu’une telle contrepartie a été déterminée de manière unilatérale, d’en apprécier le caractère suffisant.
Par ailleurs, l’employeur soutenait que lorsque le salarié est itinérant, c’est-à-dire qu’il n’a pas de lieu de travail habituel et effectue des déplacements quotidiens entre son domicile et les locaux du client, où il se rend directement depuis son domicile sans passer par son agence de rattachement, le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, au sens des dispositions de l’article L. 3121-4 du code du travail, était le temps normal de trajet des salariés itinérants de la région considérée entre leur domicile et les locaux des clients de leurs employeurs, et non le temps normal de trajet de tous les salariés de la région considérée entre leur domicile et leur lieu habituel de travail.
- Pour la Cour de cassation, il appartient au juge du fond d’apprécier le caractère suffisant de la contrepartie fixée
La Cour de cassation ne retient pas les arguments de l’employeur.
Elle considère que la circonstance que certains salariés ne travaillent pas habituellement au sein de leur agence de rattachement ne dispensait pas leur employeur de respecter à leur égard les dispositions de l’article L. 3121-4 du code du travail.
Il appartenait donc à la Cour de cassation, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, de vérifier si le montant de la contrepartie allouée aux salariés répondait à ces exigences légales et s’il n’était pas dérisoire.
Ainsi, la cour d’appel, appréciant dans cette affaire la situation d’un salarié itinérant, a valablement appliqué le raisonnement suivant :
– le lieu habituel de travail doit être considéré comme le lieu où se situait son agence de rattachement, si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile, de manière que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d’un salarié dans la région considérée ;
–les contreparties financières fixées unilatéralement par l’employeur étaient « déconnectées de ces temps normaux de trajet » et méconnaissaient, en raison de leur caractère dérisoire, les dispositions de l’article L. 3121-4 du code du travail ; En l’occurrence, la « franchise », c’est-à-dire le temps de déplacement excédentaire non indemnisé, de près de 2 heures était trop importante selon la Cour d’appel ; et
-l’employeur a donc été ordonné de mettre en place un système de contreparties déterminées, région par région, en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail qu’elle avait défini.
Les employeurs doivent donc être particulièrement vigilants lorsqu’ils mettent en œuvre leur politique interne concernant la contrepartie des temps de déplacements.