La Cour de cassation vient une nouvelle fois de rappeler qu’une situation de harcèlement moral pouvait être reconnue à l’égard d’un salarié au regard de méthodes de gestion mises en œuvre par l’employeur.
Ainsi, la cour d’appel ne pouvait valablement écarter la reconnaissance d’une situation de harcèlement moral et les demandes y afférentes de la part du salarié au motif « que les éléments apportés par ce dernier portaient sur des considérations trop générales concernant les méthodes de gestion du centre d’appel dirigé par la société et que les agissements de harcèlement moral collectif dénoncés ne s’étaient pas manifestés personnellement pour le salarié déterminé qui s’en prévalait ».
En effet, la Cour d’appel aurait dû prendre en compte les déclarations des salariés qui témoignaient :
- d’une part, « de pressions en matière d’objectifs, imposées aux directeurs de projets, aux responsables de projets, aux chargés de terrain, aux superviseurs et aux téléconseillers par une organisation très hiérarchisée du directeur de site et qui se traduisaient par une surveillance des prestations décrite comme du “flicage” » ; et
- d’autre part, « d’une analyse de leurs prestations qu’ils ressentaient comme une souffrance au travail».
Ainsi, il suffit qu’un salarié vive plus mal ces méthodes de gestion que les autres membres de son équipe pour que le harcèlement moral puisse être retenu.
Le fait que les agissements dénoncés ne soient pas exclusivement destinés à une ou plusieurs victimes nommément identifiées est donc indifférent.
En l’espèce, le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail et produit au soutien de ses demandes de nombreuses attestations, auditions de salariés recueillies dans le cadre de plusieurs plaintes pénales et extraits de presse faisant état des méthodes de management générant une souffrance au travail, de documents médicaux concernant l’arrêt de travail dont il a fait l’objet et d’une tentative de suicide liée à « un ras le bol professionnel », des constatations du médecin du travail etc.
Les éléments de preuve rapportés par le salarié étaient donc relativement lourds et auraient donc dû, pris dans leur ensemble, laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral par la Cour d’appel.
Il ne s’agit toutefois pas du premier arrêt rendu en ce sens par la Cour de cassation qui avait déjà reconnu l’existence d’un harcèlement moral managérial en 2009 :
« Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » (Cass. soc. 10 novembre 2009 n° 07-45.321)
En parallèle, la démonstration d’une intention de nuire par l’auteur des faits avait également été écartée par la Chambre sociale le même jour. (Cass. soc. 10 novembre 2009 n° 08-41.497)
D’une approche purement individuelle, la notion de harcèlement moral a progressivement évolué vers une dimension collective fondée sur l’organisation du travail.
Cette notion a d’ailleurs récemment atteint son paroxysme sur le plan pénal avec la reconnaissance d’un harcèlement moral dit institutionnel à l’égard de la Société France Telecom. (TGI Paris, 31e ch., 2e sect., 20 déc. 2019, no 0935790257)
Bien que cette décision fasse aujourd’hui l’objet d’un appel, elle témoigne d’une volonté des juges de sanctionner l’effet des processus décisionnels considérés comme déviants sur les conditions de travail et la santé mentale ou physique des salariés.
Afin d’éviter ce type de contentieux, les employeurs sont plus que jamais encouragés, dans cette période de crise sanitaire et économique inédite, à prendre la mesure de leurs obligations en matière de prévention des risques psycho-sociaux – dont fait partie le harcèlement moral.
Pour détecter les signaux les plus faibles et prévenir la survenance d’une telle situation, certaines bonnes pratiques peuvent être mises en place :
- Mise en place d’une organisation / répartition du travail claire au sein des équipes en concertation avec les RH, les élus et les salariés concernés – un rappel ou une clarification de la répartition des tâches de chacun au sein d’une équipe est parfois nécessaire afin d’éviter la persistance de frustration et une meilleure gestion de la charge de travail ;
- Organisation de réunions régulières avec les Managers afin de maintenir le lien social au sein des équipes et définir les priorités / répartir les missions de travail en cas de surcharge de travail de certains collaborateurs :
- Sensibilisation des Managers par des actions de formations, notamment sur les modes de communication et le management de la performance ;
- Envoi de questionnaires “bien-être et conditions de travail au travail” ;
- Désignation d’un référent harcèlement moral ;
- Organisation d’un audit RH lorsque des situations de souffrance au travail sont remontées par des salariés ou des élus ;
- Mise en place d’une politique d’alerte prévoyant la condition de mise en œuvre d’une enquête interne contradictoire confidentielle en association avec les élus ou le médecin du travail en cas de plainte de harcèlement moral remontée par un salarié.
Le Cabinet reste à votre disposition pour toute information complémentaire ou pour vous accompagner dans toutes vos problématiques de harcèlement moral ou de risque psycho-social.
Source : Cass. soc. 3 mars 2021 no 19-24.232